Dans 20 jours, il aura 90 ans. « Je n’aurais jamais cru atteindre cet âge là » m’avoue t-il le regard partagé entre la résignation et la conscience d’un luxe que d’autres lui envieraient ?
Une chance pour lui et nous, ses enfants, que son intelligence et sa raison dominent un corps fragile dont la résistance continue pourtant de nous surprendre. La possibilité pour lui d’être encore dans ses murs parce que capable de manifester l’autonomie nécessaire ; cette chance là aussi nous importe autant. Compte tenu de notre sentiment réfractaire aux décemment nommées « les maisons de retraite », compte tenu de l’image sordide que j’en ai pour ma part ; celle d’un ghetto ruineux et déprimant, sauf exception rare trop souvent réservée aux fortunés.
Je suis arrivée hier soir à Lille après un voyage contrasté. De la petite gare de Thoiras, où j’ai laissé ma voiture, le bus m’emmène à Nîmes où je prendrai le train. A l’arrêt, une autre femme attend, bien mise, la cinquantaine sympathique. Nous engageons naturellement la conversation et la prolongerons sans ennui durant l’heure et demie de trajet jusqu’à la grande gare où nos chemins se séparent ; le sien pour Toulouse, le mien pour là haut. Le train est à l’heure et moi aussi. Avant lui, celui de Paris part 8 minutes avant du même quai et je réalise comment j’ai pu me tromper l’an dernier au milieu des retards annoncés, arrivant à Paris Nord en croyant aller sur Lille.
Ma place en duplex est déjà occupée. Je le signale à l’occupant, sexagénaire studieux quoique peu empressé, tout en me posant à proximité sans m’en formaliser. Je déballe mes petites affaires en vue des 5 heures de voyage, livres, bouteilles d’eau, ordinateur… Et là, j’entends ; de quelques sièges plus loin, le cri répété de ce que j’imagine être un bébé me parvient à un rythme régulier, troublant le début de quiétude où je voulais m’installer. Au bout d’une dizaine de minutes, c’est celui d’un claquement– celui apparemment du couvercle refermé de la poubelle murale - qui prend le relais en continu. J’attends un moment dans l’espoir d’une intervention parentale soucieuse de faire cesser ce trouble perturbant mon environnement. Puis me lève, rien ne venant. Je sais qu’il me faudra partir ailleurs, mais me dirige vers la maman de ce que je découvre être des jumeaux d’environ 3 ans dont l’un grimpe allègrement sur les fauteuils, chaussures aux pieds, tandis que l’autre est l’auteur du bruit. Je demande « Excusez-moi, mais vous allez où ? » Elle me regarde intriguée pour me répondre hésitante « A Lille » « Mais pourquoi me demandes-vous ça ? » « Parce que je ne pense pas pouvoir supporter ce vacarme aussi longtemps » . « Mais ils jouent, vous comprenez, ce sont des enfants… » « Mais vous ne leur apprenez pas ? » « Quoi ? » « A penser aux autres ». Tandis qu’elle se dresse rebelle et froissée, j’ajoute « J’ai voyagé beaucoup avec mon fils et je ne permettais pas de telles attitudes » « Changez de place si vous n’êtes pas contente ! ». C’est bien ce que j’ai l’intention de faire mais excédée par son outrecuidance, je lui lance d’un regard appuyé vers sa progéniture « ça promet pour plus tard ! » « Je ne vous permets pas de me parler comme ça ! » « Et moi, je ne vous permets pas de m’emmerder avec vos deux lardons ! ». Là, je vois mes deux voisines de devant pouffer dans leur barbe tandis qu’une série d’invectives agressives se déverse dans mon dos résolument tourné. Je déménage enfin, soulagée de trouver non loin une paix toute relative. De l’autre côté du couloir, soudain, une jeune fille aux oreilles masquées tripote son téléphone « Bip bip bip bip ! »…
Commentaires
Chouette Françoise ; une résistante de plus !!! Ta pensée me soutiendra pour les prochains épisodes...
Bravo France ! je suis comme toi , je déteste les gamins bruyants à qui leurs parents passent n'importe quoi sous prétexte que " ce sont des enfants ... " et courage dans ta croisade anti-bruit ! J'essaie d'en faire autant de mon côté ... le calme ne doit pas devenir un luxe !! on ne va pas se laisser bouffer par les décibels ...; Bises F
Et pour rire, au retour, un jeune cadre 'dynamique' abreuvant son entourage de rythmes saccadés... jusqu'à ce que je lui demande de 'baisser le son svp'. Au vu de l'inertie générale, j'ai souvent l'impression d'être l'emmerdeuse de service. Mais je me rassure en me disant que ma réaction, ajoutée à celle d'autres résistants (il doit bien en exister ?!!!) finira peut-être par réveiller les consciences...
Merci pour ton soutien fidèle Martha. En te souhaitant une belle journée
Il y a toujours ce petit fond sonore qui rend fou. Plus de respect ni de courtoisie, et bien contents d'échapper aux sarcasmes et à l'agressivité, et de la violence.
Pour nous les Franciliens c'est non-stop. Sans parler de l'horrible "souffleur de feuilles" (pour faire faire un ultime voyage aux feuilles rousses qui se sont détachées ?)J'espère que la visite à votre père se passe calmement, c'est vraiment un nombre d'années impressionant qu'il a atteint. Je vous embrasse.