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Titre du blog : courrédjole à l'Ayrolle
Auteur : lataraillettealn
Date de création : 12-05-2008
 
posté le 21-07-2014 à 23:48:23

Maman

En débarrassant ta chambre, j’ai trouvé deux jolies montres, faites pour mon poignet. J’en cherchais une depuis longtemps et là, tu m’en donnais deux, magnifiques et petites comme nos mains. En les emportant, j’étais contente d’avoir enfin quelque chose de toi, depuis si longtemps que tu es partie. Quelque chose de précieux et de beau, que je peux porter chaque jour. Tant de heurts nous avaient séparées que je bénis ce nouvel assemblage comme une réconciliation.

Maman, j’ai aussi découvert un autre carnet de tes poèmes,  à peine entamé. Je l’ai d’abord porté à papa qui n’en a pas voulu, trop ému. Alors, il est revenu avec moi ici, avec ton écriture que j’aime contempler en me rappelant qui tu étais ; une femme courageuse et déterminée avant toutes tes carences. De te lire à nouveau, comme de retrouver une carte postale de mon fils adressée à ses "papy et mamy chéris" d’une écriture maladroite me bouleverse impétueusement.

Ce matin, j’ai reçu le colis de Manu ; quelques objets que je lui avais désignés en vitesse lors de mon passage éclair dans votre maison, celle où j’ai à peine grandi, déjà envolée à la recherche de ma liberté. Mais celle où je suis revenue souvent, en transit ou en visite.  S’y trouvaient trois tableaux que j’avais désignés à papa comme ceux que j’aimerais garder parmi tous les autres meublant ses murs. Et aussi une paire de rideaux en coton brodé, dont j’admire le travail. Un des tableaux, le plus grand est mon préféré : il représente le visage d’une femme fixé au pastel. Une femme dont l’expression reflète une beauté sobre, sauvage, dépouillée et indomptable. Le trait est moderne tout en restant extrêmement précis. On dirait du Goya. Le tableau est arrivé abîmé, portant les traces du verre brisé dans le trajet. Mais la richesse du regard du modèle et du peintre l’ayant saisi m’impressionnent encore. Je l’ai installé sur ma table, en attendant.

J’ai ri aussi ! Manu a joint un dossier scolaire de mon année de terminale. Sauf en allemand, où le prof ne tarrissait pas de louanges sur mon assiduité, j’étais perçue comme une élève « fantaisiste ou en sommeil », « rêveuse ou bavarde » « passant plus de temps à rire qu’à travailler » « manquant de sérieux et de discipline » « timide et c’est dommage »… Je me suis alors rappelée combien les cours m’ennuyaient, en général. De rester immobile et enfermée pendant des heures, déjà. Puis de devoir écouter sans répondre ni interrompre pendant presqu’autant : une contrainte trop dure à tenir pour mon être tant avide d’espace, de mouvement et d'échange.

Et puis, c’était si difficile entre nous, maman, à l’époque. Tout me pesait, toutes tes suspicions et envies sur mon désir d’amour et de liberté. Tout ce que tu me reprochais de ne pas être, toi aussi. Et moi qui ne voulais que m’échapper !

J’espère que tu vis bien là où tu es depuis de si longues années. Je t’embrasse.